UN CONTE POUR SACHA

UN CONTE POUR SACHA

Alors que Bouran, la tempête de neige, grondait à l’extérieur, petit Sacha interrogea son grand-père : « Dis-moi, Grand-père, qu’est-ce que c’est l’orgueil ? Oooh, mon petit Sacha, c’est une question difficile que tu me poses là. Tiens, pour te répondre, je vais te raconter une belle histoire :

« Il était une fois, dans la belle ville de Rostov, sur les bords du grand fleuve Don, un strélitz nommé Igor Petrovitch… Cet Igor était l’orgueil personnifié. Il s’était mis en tête de construire dans son palais une tour plus haute que le bulbe doré du clocher de la belle cathédrale de la Nativité de la Vierge, qui fait la fierté de Rostov. Comme il était très riche, Igor avait fait venir un architecte et des tailleurs de pierre d’un lointain pays nommé Italie pour faire élever sa tour. Un beau jour, les tailleurs de pierre arrivèrent à la même hauteur que le clocher de la cathédrale. « Monsignor, dit l’architecte, notre tâche est maintenant achevée, votre tour dépasse le clocher. » Mais Igor ne l’entendit pas de cette oreille : « Continue !, répondit-il à l’architecte, je veux pouvoir regarder de haut tous ces manants ». Alors les ouvriers se remirent au travail. Pour aller plus vite, ils travaillaient même la nuit, à la lueur des torches. Une nuit justement, un oiseau extraordinaire vint tournoyer autour du sommet de la tour. Il était lumineux et éblouissait les ouvriers qui s’arrêtèrent pour l’admirer. Igor, qui avait vu l’oiseau, grimpa quatre à quatre l’escalier de la tour. Il se mit à siffler pour essayer d’attirer… l’Oiseau de Feu. Car c’était bien l’Oiseau de Feu. S’il parvenait à lui arracher une plume, il irait l’offrir à la fille aînée de l’ataman des cosaques qui était réputée être la plus jolie de toute cette Russie, et la belle, tombant sous le charme irrésistible de l’Oiseau de Feu, épouserait Igor à coup sûr. Igor aurait la tour la plus haute et la femme la plus belle. Mais l’oiseau, quand il entendit siffler Igor, s’envola bien plus haut et disparut dans la nuit. Igor se dit que sa tour n’était pas encore assez haute. « Continue ! » intima-t-il à l’architecte. Alors les ouvriers se remirent au travail. Un matin, l’architecte dit à Igor : « Monsignor, cette tour est plus haute que toutes celles que j’ai bâties en Italie. Si on monte encore, le vent va risquer de la faire tomber ». Igor, furieux, fit jeter l’architecte en prison et vint lui-même diriger le chantier. Alors les ouvriers se remirent au travail. Comme il ne redescendait plus de sa tour, Igor ne savait plus ce qu’il se passait dans la ville. Un jour il entendit carillonner à toute volée les cloches de la cathédrale, et il vit tout en bas une foule amassée devant la belle église. Saisissant sa longue vue, il put apercevoir l’archimandrite qui escortait deux jeunes mariés. La mariée n’était autre que la fille aînée de l’ataman qui caracolait lui-même en tête du cortège avec sa troupe de cosaques. Il vit le jeune époux au bras de la belle. Celui-ci portait à sa toque blanche une magnifique plume… lumineuse ! Une plume de l’Oiseau de Feu ! Ainsi, faire élever si haut cette tour ne lui avait-il servi à rien ? Ce jeune homme inconnu était parvenu à conquérir la belle en restant au niveau du sol ? Igor se mit à crier, fou de douleur. Les ouvriers, épouvantés en entendant ses hurlements, dévalèrent à toute allure l’escalier de la tour. Tous les invités de la noce levèrent les yeux pour voir d’où provenaient ces cris de bête. Alors, sous l’effet de ce vacarme, la tour se mit à trembler. Elle se fissura et s’écroula dans un nuage de poussière, démolissant les murs de la prison dont l’architecte italien s’enfuit en courant.

Sur les marches de la belle cathédrale de la Nativité de la Vierge, le jeune Ivan Vassiliévitch Rurik, prince de Wladimir, que l’on n’appelait pas encore « Le Terrible », se mit à rire et s’adressant à sa jeune épouse lui dit : « Voyez-vous, ma princesse, il ne sert à rien de se vouloir supérieur à tous. Plus on s’élève, plus on est seul, et plus on tombe de haut. Ne l’oublions jamais mon aimée… ».

Le grand-père se releva et couvrit petit Sacha, qui s’était endormi, d’une belle peau d’ours. Puis il ouvrit la porte du grand poêle de faïence et y jeta deux grosses bûches….

RICHELIEU