La moisson d'Apollon

1 décembre 2014

Nous vous proposons aujourd'hui de découvrir l'univers déjanté et délicieusement irrévérencieux de Nini Dobrosielski, par le biais de ce texte écrit en 2013 lors des ateliers consacrés au Mythe, au Conte et à la Légende.

Il s'agissait de la toute première consigne du cycle : "Imaginez une scène mythologique dans laquelle plusieurs personnages de différents mythes se rencontrent". Nos honorables participants n'étaient pas vraiment rassurés à l'idée de se lancer d'amblée dans des écrits mythologiques. Pourtant, la qualité de leurs travaux fut à la hauteur de leurs angoisses. Si certaines productions respectaient avec une ferveur presque religieuse les codes du genre, d'autres, comme le texte de Nini, les détournaient avec un tel humour que même les puristes (car oui, il y a quelques puristes parmi nous) ne purent se résoudre à les condamner !

Et comme si l'effet jubilatoire du texte n'était pas suffisant, Richelieu nous offre deux superbes illustrations tout aussi hilarantes, pour faire de cette moisson d'Apollon un véritable petit bijou satirique.

LA MOISSON D'APOLLON

Au commencement était Eve, fille de dieu, mère de tous les vivants et compagne de l’homme.

Piquée par la curiosité mais pas par le serpent, elle avait entrainé Adam dans sa désobéissance de Dieu et le jeune couple avait goûté au fruit de l’arbre de la connaissance du Bien et du Mal.

Dieu qui était assez critique vis-à-vis de ses créations s’était un peu fâché et les avait chassés du jardin d’Eden.

Adam et Eve, honteux et confus, quittèrent les lieux jurant qu’on ne les y reprendrait plus.

Adam dit : « tout ça c’est à cause de toi.»

Eve répondit : « non, c’est à cause du serpent.»

Alors Adam dit : « c’est quand même TA pomme »

Alors Eve répondit : «Ha ha! On dit la pomme d’Adam, et le sol est maudit à cause de toi ! »

Bref, Eve avait de l’humour et bien que de nature très croyante, elle savait faire preuve de mauvaise foi, parfois.

Mais là n’était pas le propos car il leur fallait maintenant cultiver les végétaux et soumettre les animaux.

Pour les animaux, rien de plus facile, ils dépecèrent deux petites biches afin de se confectionner un astucieux sac à main très utile pour transporter les graines. Une expérience exaltée, certes, mais qui ne les avait pas vraiment rapprochés.

Cette acquisition compulsive n’empêchait pourtant pas leur famine de crier car 5 fruits et légumes par jour, ils n’avaient pas trouvé.

Ils décidèrent de s’éloigner de leur Saint Père et se laissèrent dériver d’îles en îles dans l’archipel des Cyclades. Ils dérivèrent sept jours et sept nuits jusqu’à l’île d’Andros laquelle regroupait toutes les conditions pour planter.

Oui mais…

Eve rêvait d’un autre monde où la terre serait ronde, où la lune serait blonde et la vie serait féconde.

La vie n’était pas féconde et Eve s’ennuyait, elle ne pouvait plus supporter Adam et ses petites manies : son inaptitude à effectuer des tâches ménagères, ses réactions enfantines, ses pulsions nocturnes, et surtout, surtout son obsession pour une parfaite hygiène buccale.

Mais ils étaient seuls et elle n’avait pas d’élément de comparaison, elle subissait en se faisant une raison.

La terre n’était pas féconde et Eve s’étiolait.

Par une matinée plus ensoleillée qu’à l’accoutumée, muni de sa brosse, Adam s’éloigna de la caverne pour ne pas perdre haleine.

Par cette même matinée ensoleillée, Eve abandonna le domicile conjugal pour aller se baigner.

Tout prêt de la source, elle se déshabilla et se mit à chanter.

Apollon, charmé par cette mélopée, fit une apparition.

Elle le reconnut comme un fils de Dieu, d’un autre Dieu mais néanmoins son égal et fut d’emblée séduite par son corps musclé, son teint halé, sa couronne de laurier, sa nudité revendiquée et…

Et elle perdit connaissance tout court et aussi du bien et du mal.

Puis, elle tomba dans les pommes.

- Eve lève toi ! murmura Apollon.

-…

- Et danse avec la vie.

-…

- L’écho de ta voix est venu jusqu’à moi.

Alors, Eve ouvrit les yeux et Apollon lui offrit une pomme en or sur laquelle était gravé «en vérité je te le dis, c’est toi la plus belle ».

Mais l’heure n’était pas à la discorde, il fallait que leurs corps s’accordent.

Ils s’enivrèrent au nectar et à l’ambroisie.

Puis Apollon, très au fait des us et coutumes eucharistiques, lui proposa une petite partie de transsubstantiation :

Il dit: « prends, ceci est mon corps donné pour toi. »

Et elle le prit.

Alors Apollon, séduit par les prestations offertes par cette mortelle, se mit à jouer du phorminx, car en plus d’être le Dieu des Arts, de la lumière et de la vérité, c’était aussi le Dieu de la musique.

Aussitôt, le ventre d’Eve gronda.

Aussitôt le sol gronda, le soleil rayonna, l’eau coula et des entrailles de la terre surgirent des arbres fruitiers, des champs de blé et des légumes prêts à cuisiner.

C’est ainsi qu’Apollon, amoureux, renonça aux nymphes et aménagea avec Eve sur l’île d’Andros, dans un château-fort de fruits.

En bonus pour tous les nostalgiques du Top 50, une petite vidéo tout à fait d'à propos !