Miss Tea ou l’orgueil brisé

31 janvier 2020

« Orgueilleuse est mon surnom. Il me plait que l’on m’appelle ainsi ! Quel joli mot « orgueil »!Il n’est pas de ces mots qui passent inaperçus comme simplicité, modestie. Il emplit votre bouche et résonne dans l’air. Il sonne comme un métal riche sur une inspiration « OOOR » et se termine par un son généreux, dans une expiration « GUEILLL ». Il vit ! Mais d’où me vient ce surnom ? Je suis arrivée en Angleterre il y a environ une dizaine d’années, la reine m’avait choisie pour la servir. Avant de faire son choix, elle avait organisé un concours où les meilleurs artisans étaient présents. Concours que j’ai remporté haut la anse car je peux assurer, sans aucune prétention, que j’étais la plus belle. D’ailleurs, le reflet que me renvoient les vitrines ne ment pas. Mais à cet instant, mon reflet me semble illusoire! Je vois une autre théière. Est-ce le petit pot et son nuage de lait qui troublent mon image ? Peut-être se venge-t-il de mon irrespect envers lui. Je le rabaisse constamment par rapport à sa petite taille. J’essaie toujours de l’ébrécher par des paroles blessantes. Ce n’est que pure méchanceté de ma part, j’envie surtout sa bienveillance mais je ne sais pas comment lui dire. Le petit pot, lui, est toujours attentionné envers moi et veille avec son nuage de lait à ne pas nuire à mon thé. Je ne suis pas plus sympathique avec les autres théières. Pour les diminuer, je me vante souvent d’être dans l’intimité de la reine. Je leur raconte combien il est excitant de savoir que les notables envient leur majesté, en parlant de ma beauté, de ma valeur unique, de ma délicatesse. Mais soyons honnête, je sais que je ne suis pas parfaite et j’ai une peur bleue d’être mise au placard. Cela me met la pression, aussi je m’efforce de garder la tête haute. Je suis arrogante avec les tasses ne soulignant que leur beauté, elles me la doivent. En fait j’aimerais être leur amie, j’adore les voir s’entrechoquer pour se dire bonjour, ou s’empiler joyeusement en alternant une sous tasse, leur inséparable compagne. Moi, je reste seule, comme une diva. Chaque jour je dois assurer le réveil de la reine et chaque jour, j’ai peur d’être rejetée. C’est une grande responsabilité que de garder son thé chaud jusqu’à ce que le majordome me soulève d’une main adroite et gantée pour la servir. Comment ne pas se sentir au-dessus de tout ? On n’ose pas me toucher à main nue de peur de m’abimer et de plus, grâce à moi, la REINE commence bien sa journée. Enfin elle, mais pas moi ! Depuis dix ans, il me manque quelque chose et je cache mon désarroi en faisant la fière. Plus je souffre, plus j’écrase les autres avec mon air condescendant, mon arrogance. Oui, il me manque quelque chose d’important, l’Amour de celle qui m’a donné vie ! La reine ! La reine ne m’aime pas ! Elle m’a choisie, certes, mais jamais au grand jamais elle ne m’a pris dans ses mains, ne serait- ce que pour les réchauffer .Jamais elle ne m’a jeté un regard tendre ou admiratif .Chaque matin c’est l’ignorance totale. Combien de fois j’aurais voulu être le petit pot et son nuage de lait qu’elle verse avec délicatesse, ou la tasse de thé qu’elle porte à sa divine bouche. Rien de tout cela. Je reste au milieu du plateau attendant la fin du petit déjeuner puis, je retourne seule, derrière cette vitrine. Mon unique compagne de vie, cette image éphémère, mon reflet ! Je croyais avoir réussi ma vie mais ce n’est qu’un échec .Je suis seule et inutile. Mon orgueil reste mon souffle de vie. Dong ! Dong ! It’s the tea time ! Il faut que je me reprenne, il faut survivre. Oh non ! Voilà le majordome. Vite, mettons nous en avant, je suis la plus belle des théières, l’unique et ….mais quel maladroit ! Cette chute d’1m80 m’est fatale. Seul mon couvercle est resté sur l’étagère. Le majordome le pose sur le petit pot pour protéger son nuage de lait. Qu’est-ce qu’il est beau avec mon couvercle, cela lui donne un petit air supérieur… à tout briser….