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Zin'o'script, blog et revue de l'association Ecri'service
13 juillet 2018

Le fantôme du Causse

Le fantôme du Causse

Jean était un jeune homme discret qui venait d’hériter de dix hectares de vignes d’un oncle inconnu. Cet oncle était un vieil ermite qui habitait sur le Causse. Il s’occupait seul de sa vigne, n’acceptant que très rarement l’aide des villageois. Il protégeait ainsi le secret d’un vin extraordinaire qu’il élevait dans ses fûts. Lorsque Jean rencontra le notaire, celui-ci lui demanda s’il prenait possession de  cet héritage car la vigne était hantée. Les rares fois où quelques  villageois avaient voulu s’en approcher et entrer dans le chai, ils étaient revenus blancs de peur, affirmant avoir rencontré le fantôme de l’ermite. Jean n’avait jamais rien eu à lui. Aussi il n’eut pas à réfléchir. Il confirma au notaire sa position avec force. Il ne voulait pas perdre cette vigne. Serrant les poings dans ses poches, il était prêt à se battre contre ce fantôme. Sur la place du village, un attroupement de personnes l’attendait. Jean se présenta et annonça qu’il vivrait à présent sur le Causse.  Un murmure d’effroi parcourut le groupe. Certains cherchèrent à le dissuader. Le fantôme était aussi puissant que le vent du Causse. Au-dessus des vignes, d’étranges lumières vertes fendaient le ciel, surtout les nuits d’été. Chacun y  allait de son histoire, mais Jean restait déterminé. Il partit alors sur le Causse. La lumière tombait vite en cette journée d’hiver. Il n’y avait pas de lune pour le guider et le vent soufflait de plus en plus fort. Jean ne connaissait pas la région pour oser prendre un chemin de traverse. Dans cette nuit noire, il commençait à avoir peur et repensait aux histoires du fantôme. Son inquiétude était grandissante. Et si cela était vrai ? Soudain, il aperçut une forme sombre et haute qui devait être le chai et sa maisonnette. Enfin ! Il allait pouvoir se mettre à l’abri.

Le lendemain il décida d’explorer les lieux. La maison d’habitation était simple mais accueillante. Il alla découvrir le chai. En entrant, il fut tout de suite saisi par l’odeur de vin et surpris par la douce fraîcheur qui y régnait. En sous-sol étaient alignés de vieux tonneaux de chêne. Sur les étagères quelques bouteilles de vin étaient entreposées, couvertes de poussière. Alors qu’il prenait  une bouteille, la porte du chai se referma violemment. Il sursauta, remonta quatre à quatre l’escalier la bouteille à la main. Le chai était vide. Sur ses gardes, il demanda timidement s’il y avait quelqu’un.  Un rire étouffé se fit entendre derrière les foudres. Il s’y dirigea d’un pas décidé. Personne ! Il s’apprêtait à sortir du chai lorsqu’il remarqua sur la table une lettre où était écrit ceci : «Je suis le fantôme du Causse,  je t’ai confié ma vigne. Si tu veux devenir un bon vigneron, à toi de m’écouter et d’exécuter mes consignes. Si tu soignes bien ma vigne, elle sera à toi et moi je partirai. Sinon, je te chasserai de mes terres. Tu dois commencer dès aujourd’hui à faire pleurer la vigne.» Jean était plutôt amusé par ce courrier. En fait il ne croyait guère aux fantômes, il pensait surtout faire l’objet d’une farce. A ce moment-là, il sentit une ombre dans l’encadrement de la porte. Surpris, il se retourna vivement et vit un vagabond. Celui-ci était à la recherche d’un travail. Jean, soulagé, lui dit en souriant : «Sais- tu faire pleurer la vigne ?» Jules, le vagabond, connaissait très bien la taille de la vigne. Oui,  il savait la faire pleurer. Jean resta bouche bée. « Bien sûr, la  taille ! Voilà la demande du fantôme pensa-t-il. Enfin si fantôme il y a !» Jean et Jules se serrèrent la main. En échange d’un toit, Jules l’aiderait quelques temps à la vigne. La taille commença dès le début de l’après-midi. C’était un travail délicat. Il fallait respecter les flux de sève, choisir les rameaux à garder en fonction du nombre de grappes attendues. Jean parfois se trompait. Mais, chose étrange, alors qu’il voulait couper le sarment de gauche, sa main instinctivement corrigeait et taillait celui de droite. Au début il n’y fit pas vraiment attention. Cependant la peur l’envahit lorsqu’il prit conscience de la perte de contrôle de ses gestes. Il entendit derrière lui un rire étouffé. Il se retourna mais ne vit personne. Jean regarda Jules qui continuait à tailler la vigne. Il semblait n’avoir rien entendu. Jean reprit son travail. Les émotions de ces dernières journées l’avaient sans doute bien perturbé. Sans plus se poser de questions, il continua la taille. S’il hésitait à couper un rameau, il attendait que sa main prenne la décision. « Je suis fou, disait-il mais je suis heureux, je travaille pour moi. » A la nuit tombée, Jules prit congé. Il alla dormir dans le baracou, la petite cabane en pierres sèches située sur la parcelle voisine. Jean passa prendre une bouteille dans le chai et partit se réchauffer dans la maisonnette. Le vin qu’il but  était extraordinairement bon. De couleur acajou, il était lumineux. Ses saveurs étaient harmonieuses. En le dégustant, il avait l’impression de lire l’histoire du terroir, de sentir la force du vent sur le Causse, les  odeurs de sous-bois, de découvrir la générosité de la vigne. Lui qui n’avait jamais eu de famille, qui n’avait jamais eu de « chez soi », éprouvait dans l’instant présent une immense gratitude pour cet oncle inconnu. Il se promettait de prendre soin de cette vigne comme l’on prend soin d’un petit enfant, avec amour et bienveillance. Jules vint frapper aux aurores.  Jean lui avait préparé un bon petit déjeuner. Lorsqu’il voulut lui faire goûter le vin, la bouteille n’était plus dans le placard. Jules se moqua gentiment, disant qu’il avait dû fort apprécier ce vin, jusqu’à en boire la bouteille. Jean partit en maugréant vers le chai prendre une deuxième bouteille. Les étagères étaient vides. Plus une bouteille ! A la place, une lettre où était écrit ceci : «Je t’ai confié ma vigne, à toi de découvrir les secrets pour faire ce bon vin. Ne t’inquiète pas je guiderai ta main. » Il entendit à nouveau ce rire étouffé. «Qui êtes-vous ? cria Jean, montrez-vous si vous êtes un homme!»  Il sentit un frôlement dans son dos et une voix s’éleva : « Je suis le fantôme du Causse.» Apeuré, Jean sortit en courant et faillit heurter Jules qui venait à sa rencontre. Par honte, il n’osa rien dire de ce qui venait de se produire. Les mois passèrent sans qu’il y ait d’évènement particulier. Jean appréciait le travail avec Jules. Ce dernier lui transmettait avec passion sa connaissance de la vigne et du métier de vigneron. Jean savait à présent déchausser les pieds de vignes, accoler les sarments. Son plaisir le plus grand était de s’occuper de la parcelle du haut. Il était alors le roi du monde, et le monde s’étendait aussi loin que portait son regard. Sur cette parcelle, la vigne était généreuse. Il est vrai qu’elle profitait d’une bonne exposition. La terre était bien aérée et le vent du Causse lui apportait l’odeur des sous-bois, des herbes fraichement coupées. Jean était heureux et les oiseaux voletant autour de lui chantaient sa joie de vivre. Avec une délicate douceur, il enlevait les feuilles superflues pour éviter un tassement du feuillage, favorisant ainsi l’ensoleillement des grappes. Avec attention, il sentait le sol, le respirait, voire même le goûtait. Il veillait avec soin à sa vigne. Le soir, même fatigué, il ne manquait jamais de passer par le chai. Il y trouvait régulièrement les consignes du fantôme qui le  guidait. Celui-ci lui faisait parfois des farces. Par peur, Jean aurait pu fuir maintes et maintes fois. Mais non, il s’était pris de sympathie pour lui.

Assis  devant le chai, dégustant un verre de ce bon vin que le fantôme avait bien voulu lui accorder pour cette dernière soirée avant les vendanges, Jean songeait à ces mois passés. Il était fébrile et  guettait le ciel à chaque instant. Il ne voulait pas qu’un orage vienne gâter la récolte. Il avait découvert la vigne et la vigne l’avait découvert. Elle était indulgente avec lui et lui la respectait. Grâce à Jules et au fantôme, il devenait un vrai vigneron. En cette fin d’été, la nuit était douce et parfumée. Le coteau était éclairé par des milliers de lucioles, instant magique voire fantasmagorique. Il but une gorgée de vin et soudain, poussa un cri presque inhumain. Il descendit en courant vers le baracou : « Jules, hurla-t-il  j’ai compris… » Il ouvrit la porte du baracou et le son de sa voix resta en suspens. La cabane était vide. Personne n’était venu là depuis fort longtemps. Il rebroussa chemin, le front plissé par  les questions qui le hantaient. Il entra précipitamment dans le chai : « Jules cria-t-il, je sais qui tu es …  et  ton meilleur vin vient de la parcelle du haut. Montre-toi, fantôme du Causse !» Personne ne répondit. Il ressortit, se promettant d’aller voir Jules avant de débuter les vendanges. Or le lendemain matin, il n’eut pas une minute à lui, beaucoup de villageois étaient venus l’aider. Dès les premiers raisins dans le pressoir, il but avec une grande émotion son premier jus du millésime. Il aurait aimé partager cet instant avec Jules, cependant il avait compris que les vendanges mettaient fin à leur rencontre. Jules lui avait confié cette vigne, lui avait transmis les moindres secrets comme un père l’aurait fait avec son fils. Mais ce bon vin, réussirait-il à le faire ? Il entendit un petit rire étouffé et une voix lui souffler : « Ne t’inquiète pas, quand tu te sentiras perdu, va sur la parcelle du haut écouter le vent du Causse, il te dira.  Observe les lucioles, elles te guideront. Je ne serai jamais loin!»

Une année passa. Un soir, pour fêter le début des vendanges, Jean apporta au village son  premier millésime venant de la parcelle du haut. Jamais on n’eut bu un vin si délicieux, si généreux. Le notaire vint le féliciter : « Le fantôme est fier de toi, il te confie sa vigne, elle est à toi ! » Il repartit aussitôt, sans laisser à Jean le temps de répondre. Surpris, ce dernier s’approcha d’un villageois et dit : « Le notaire est peu causant, il nous fuit ? », « Le notaire ? répondit celui-ci, il n’est plus au village ! Il est parti peu après ton arrivée. » Jean fut étonné. Soudain, son regard  fut attiré par quelques lucioles qui  voletaient çà et là. Le vent se leva. Jean sourit.…

Plume Do_Dominique

Plume Do

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