Charité Chrétienne

Madeleine est une personne que l’on qualifie dans le langage populaire de « grenouille de bénitier ». Toujours aimable en apparence, elle affiche un sourire qui, quand on la connaît bien, est plutôt méprisant. Elle propose toujours ses services, mais ne fait jamais rien dans ce sens. Sauf à l’église bien sûr où elle apporte des fleurs et regarde si rien ne traîne dans les allées au cas où ! Mais son passe-temps favori est de regarder derrière sa fenêtre. Dès le matin elle s’installe à son poste d’observation et  voit tout ce qui se passe dans sa rue.

La mère Durand a encore fait sa lessive. Ben dis donc ! D’un autre côté avec quatre enfants, forcément il y a du linge à laver. Pas terrible le blanc, légèrement grisé, elle devrait changer de lessive.

Ha ! Ha ! Monsieur Dupré qui fume son petit cigare en cachette sur le balcon pendant que sa femme papote sur le trottoir avec la concierge. La concierge ! Celle-là s’en est une vraie ! Elle déballe tout ce qu’elle sait, tout ce qu’elle apprit chez le boucher, le boulanger, en ramassant le courrier des locataires. Et elle enrobe, en rajoute, et surtout elle ne se fait pas prier pour parler, ça non !

Tiens, l’amant de la grande est en retard aujourd’hui. En principe il arrive vers neuf heures et repart vers onze trente. C’est réglé comme du papier à musique. Peut-être a-t-il raté son bus ? Ou alors il a eu un problème ? Il faudra que je me renseigne, ce n’est pas normal.

Le mécano aussi est en retard. Sa mobylette n’a pas dû démarrer. C’est toujours ce qu’il raconte à son patron. Pendant un certain temps c’était le réveil qui ne sonnait pas. Il faut bien que jeunesse se passe !

Voilà Madame la Baronne qui va faire son petit marché. Raide comme un piquet, elle traîne son caddy. Mais oui on te regarde, ce n’est pas la peine que tu prennes ton air de deux airs ! Pfft ! Tu parles, elle est fauchée comme les blés, son mari est au chômage, son manteau a été retourné au moins dix fois et elle continue à faire la fière ! Y’a pas de honte a être fauché ! Madame la Baronne ne peut pas travailler, non, Madame la Baronne s’occupe de son intérieur ! Je me mare, elle habite un trois pièces !

Les volets sont fermés chez les Dupont. Ca non plus ce n’est pas normal ! Ils ne sont pas encore partis en vacances ! Par contre, eux,  ils ont du fric ! D’ailleurs je me demande où ils trouvent l’argent. Lui ne sort pratiquement jamais, et elle ne sort qu’en fin de journée. C’est quand même bizarre. La police est venue une fois chez eux. Je le sais par la femme du marchand de tabac qui est amie avec leur voisine. Je me demande si …

Dix heures, la teigne d’en face se lève. Celle-là elle ne s’en fait pas ! Son mari travaille comme un forcené et elle se prélasse toute la journée. Elle est méchante comme la gale, toujours à reluquer derrière sa fenêtre ce qui se passe autour d’elle. Avec un regard mauvais en plus. Je suis sûre qu’elle jette des sorts, elle n’est pas très claire. Toujours mal coiffée, en peignoir, traînant sa carcasse. Qu’elle est laide, mais qu’elle est laide !

Bon, j’ai fait le tour ? Mais non ! J’ai oublié Marguerite ! Elle devait aller chez le coiffeur. Elle avait envie de changer de couleur. Blonde, elle veut être blonde ! Mais qu’est-ce qui lui prend à celle-là aussi ! De toute façon le blond ne lui ira pas, elle est blanche comme un cachet d’aspirine. Avec ses jambes toutes maigres elle ressemblera à une baguette pas cuite ! En parlant de baguettes, elle n’a pas dû aller chercher son pain !

Mon dieu ! Il est déjà onze et demi ? Et mon repas qui n’est pas prêt ! Je vais faire cuire des pâtes, il aime bien les pâtes avec du beurre et du fromage mon mari,  ça lui calera l’estomac ! Avec tout ça je ne suis pas allée à confesse ! Monsieur le curé ne m’en voudra pas, de toute façon je n’ai jamais rien à me reprocher !

Marcal