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Zin'o'script, blog et revue de l'association Ecri'service
20 avril 2017

L'envie de Théodore Géricault

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Oui Messieurs !  Elle était bien plus belle que moi Mademoiselle Charlotte. Vous pourriez penser que c’est un acte de jalousie, mais non, Mademoiselle Charlotte, je l’aimais comme moi-même. J’ai toujours été près d’elle. J’étais là de son réveil à son coucher, je préparais son thé, j’apprêtais ses élégantes robes, je peignais ses longs cheveux noirs. Chaque jour avec délice je baignais sa peau délicate dans un lait d’ânesse, la séchais avec un fin coton et massais son corps d’huile parfumée. Je la préparais à séduire son monde. Pendant qu’elle resplendissait, je me ternissais jour après jour et cela depuis l’enfance, sans m’en rendre vraiment compte. Cette nuit-là, je fus prise d’une crise qui m’habitait jusque-là en silence. Elle était belle, très belle au retour du bal, elle voulut un bain, elle riait, riait. Elle me raconta ce beau et jeune officier qui lui avait demandé sa main dans une valse qui lui avait fait tourner la tête ; et en même temps elle prit ma main et me fit danser et tournoyer. Elle était nue, immensément belle, elle est entrée dans le baquet, elle riait, riait, riait trop et trop fort. Mon ventre s’est serré et un sang bouillant est monté de mes cuisses à ma tête, mes yeux ont explosé, j’ai voulu crier « assez » mais mes lèvres bloquaient mon souffle. Oui ! J’ai noyé Mademoiselle Charlotte avec mes mains, dans son bain. 

Mademoiselle Charlotte et moi étions nées à quelques mois d’écart, dans le superbe château de Fozières, une campagne riche et verdoyante, entourée de vignes. Il appartenait depuis 1230 à la famille De Fozières. Il avait été offert par Philippe II Auguste pour service rendu à la royauté. Monsieur Charles s’occupait des vignes, Madame se chargeait des mondanités inhérentes à leur rang. Quant à ma mère, après avoir été dès ses quatorze ans au service du château, elle avait été nommée gouvernante lorsque Madame fut malade et avait dû garder ses appartements, peu de temps après la naissance de Charlotte.

Charlotte et moi avions grandi ensemble dans ce lieu magnifique où tout était jeux, amour et rires. Nous aurions pu penser que nous étions sœurs, et qui sait si nous ne l’étions pas… Ma mère nous avait donné le sein à toute les deux, elle nous avait langé, baigné, aimé. Je n’ai jamais su qui était mon père. Lorsque je questionnais à son  sujet, les gens de la maison se signaient de la croix et me caressaient la tête. Quand j’abordais la question avec ma mère, elle pleurait. Mais Monsieur Charles était bon et affectueux avec moi, et avait une grande confiance en maman.

Je fus très heureuse jusqu’à mes sept ans. Ma mère, alors, me demanda de comprendre et d’accepter que Charlotte et moi n’étions pas du même monde, qu’à partir de ce jour je devais l’appeler Mademoiselle et ne plus penser à jouer tout le temps avec elle. J’étais grande maintenant, il fallait songer au travail. Je dus apprendre à servir, être aimable, laver et repasser le linge, nettoyer la maison et coudre. Pendant que Mademoiselle Charlotte, elle, apprenait le solfège, la rhétorique, l’élégance, l’équitation. Depuis ce jour, à mon détriment, je n’avais fait que la regarder grandir et s’embellir. Moi, je m’oubliais devant sa gracieuse présence. J’avais toujours une admiration sans mesure pour elle, mais lorsqu’en cuisine on relatait ses exploits d’équitation mon ventre se crispait, je me griffais de douleur et je me vomissais. Ma mère soignait mes maux incompréhensibles avec colère, je luis faisais perdre son temps pour des caprices.

Peu à peu, je n’avais plus parlé, je m’étais murée dans un silence assourdissant, parfois je croyais que ma tête allait s’ouvrir et déverser sa boue de haine. Lorsque je rangeais la chambre de Mademoiselle durant ses cours de musique, je reniflais ses dentelles avec extase et soudain une grande chaleur montait en moi, je devenais quelqu’un d’autre et avec rage je déchirais le fin tissu. Une fois, j’avais même caché un gros crapaud dans le tiroir, sous ses bas. Je devais être corrigée pour avoir tant effrayée Mademoiselle, mais elle avait protesté auprès de son père et l’avait prié qu’à l’avenir je sois exclusivement à son service de chambre. Nous étions peu à peu devenues deux jeunes femmes. Elle était très courtisée et adulée, moi je m’enfermée dans ces douleurs incompréhensibles que seule maman pouvait calmer. Jusqu’à cette nuit du 8 dernier. Charlotte était sortie, je l’attendais dans le noir au bas de l’escalier quand je surpris Monsieur Charles sortir de la chambre de maman. Il venait de prendre ma mère. Il venait de me La prendre. Je ressentis un immense vide en moi, un vertige me prit. Mademoiselle rentra à ce moment-là, elle me soutint jusqu’à sa chambre. Mon mal-être ne faisait qu’augmenter devant sa joie exubérante, j’entrais dans un état second, je ne pus refreiner mes pulsions et Mademoiselle Charlotte subit le sort malheureux de perdre la vie par mon envie.

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