Etat de colère
C'est vraiment une journée extraordinaire comme on l'espère au mois de mai. Il ne fait ni trop chaud, ni trop froid, et la soirée s'annonce avec une douceur sensuelle : les parfums de fleurs retombent et embaument la terrasse où nous pourrons nous installer pour fêter le septième anniversaire de Hugo. Le vélo est emballé pour créer un minimum de surprise. C'est toujours plus excitant de ne pas tout voir d'un seul coup d'œil.... Ainsi, nous aurons, nous aussi, le loisir de savourer son bonheur de la découverte. Sans contrainte particulière, la petite famille (Hugo, sa petite sœur et leur mère) devrait arriver de Perpignan vers 19h au plus tard. Et sans doute avant, de manière à apprécier ce repas d'anniversaire.
A 18h, je vérifie encore que tout est en ordre et je guette par la fenêtre l'arrivée des voitures tout en tendant l'oreille vers le téléphone. Je commence à tourner en rond et à répéter les mêmes gestes, à préparer un travail et à tout ranger car ils ne devraient pas tarder à se montrer.... 18h30, pas un signe, pas un appel. Mon humeur devient instable : entre la rumination et l'inquiétude, entre les insultes silencieuses et la compassion déclarée ... A-t-elle oublié ? Les enfants ont-ils eu un malaise soudain ? Mais pourquoi ne prévient-elle pas ? J'imagine plusieurs scénari allant du plus désinvolte au plus dramatique. Evidemment, cette attente incompréhensible me rend agité. J'arpente la maison et la terrasse comme un pantin incontrôlé, montant et descendant les escaliers pour le moindre prétexte. Mon impatience rejaillit injustement sur ma femme, elle qui a largement participé à la préparation de cette soirée ! Je l'interpelle, je voudrais qu'elle me donne une explication, qu'elle me rassure sur la réalité de ce rendez-vous...
19h, la seule nouvelle est que le soleil s'est rapproché de l'horizon. Je décide de téléphoner. J'apprends alors qu'ils viennent de quitter le parc et vont bientôt prendre la route. Ils ne seront pas ici avant 20h30. Je fais un gros effort pour ne pas exprimer de reproches et prodigue des encouragements à ne pas traîner.
A 21h, on m'explique que le vent contraire freine leur course mais que la sortie de l'autoroute est pour bientôt...
A leur arrivée, à 21h15, je descends les dents serrées - mais avec la bonne intention de ne pas ruiner la soirée - pour prendre les bagages et accélérer le transit. Je fais une remarque sur cette heure d'arrivée déraisonnable qui nous contrarie. A la place d'excuses et d'explications désolées, j'entends une réponse provocante et blessante : "personne n'a demandé ce tralala ; l'anniversaire a déjà été fêté ailleurs, même chez un copain" !! A cet instant, une douche bouillante me tombe sur la tête à moins que ce ne soit le sang qui remonte d'un seul coup au visage ; ma poitrine se serre, mes yeux semblent vouloir sortir de leurs orbites et mes muscles sont tétanisés. Les sons ne parviennent pas à sortir régulièrement de ma bouche et ce sont des éruptions de mots qui me servent de discours. Complètement déstabilisé par tant de mauvaise foi, je ne peux canaliser ni mes pensées, ni mes paroles. La mauvaise foi et la bêtise sont les deux principales causes de mes colères et cette fois elles se manifestent en même temps ! Je ne sens plus le poids des bagages en montant les escaliers et je n'entends pas le volume de ma voix. L'environnement n'existe plus, je suis dans une bulle incandescente. Après quelques minutes d'émotions intenses, mes pensées s'organisent et je veux convaincre de mon bon droit d'être déçu et de pouvoir le dire ; je veux extirper cette mauvaise foi et cela se passe avec des cris qui sont autant le reflet de l'irritation que du désespoir.
Quand la porte claque et que le silence revient, je me retrouve épuisé et comme étourdi par un coup de massue. Le vélo reste emballé de mes regrets, ceux de n'avoir pas su, une fois encore, contrôler ma colère et d'être ainsi apparu comme vulnérable. Un de mes oncles disait souvent : " si tu te mets en colère, c'est que tu as tort". Cette fois, je pense avoir raison sur le fond mais je reconnais que la colère est mauvaise conseillère et n'est pas un argument. Au contraire, elle peut compliquer la situation. Elle est un signe de désarroi, un appel à l'aide pour être entendu. Elle peut être interprétée comme un signe de faiblesse. Mais, sans la colère, la méchanceté, le mépris et l'indifférence pourraient bien remplacer ce sentiment.