Tempérances et intempérances
- Ah ! Chérie, quelle nuit ! Une nuit d'aventures comme jamais je n'aurais pu l'imaginer. C'est vrai que c'est la caractéristique des rêves. Mais celui-ci était particulier par son côté philosophico-érotico-gastronomico .... et du suspense en plus !.... Tu en faisais partie mais je ne t'ai pas toujours reconnue.
- Ah bon ! Il est vrai que tu oublies souvent de me regarder, que tu ne cherches plus à me connaître... Je change moi aussi et mes désirs évoluent ... J'avais le beau rôle, au moins ?
- En fait, je t'ai retrouvée derrière une porte en bois d'une maison villageoise plutôt cossue. Je me sentais mal, j'ai frappé, la porte s'est ouverte et tu m'as accueilli par cette phrase :"Bonjouir, le professeur vous attendait, il va vous recevoir dans quelques minutes…" Effectivement, un homme très maigre vint me saluer et me tint ce discours impromptu : "Igor, vous n'êtes pas raisonnable, votre fourchette est bien trop grande pour votre estomac et vous passez bien trop de temps devant votre assiette. Il faut réagir, Igor !! Il faut vite réagir Igor !! A partir de maintenant, ce sera chou fleur cru et radis noir agrémentés d'un jus d'asperge au lever."
L'homme était tellement impressionnant et je me sentais si coupable de ma gourmandise que j'ai suivi ses directives. Au bout de quelques jours, j'avais bien maigri et me sentais plus alerte. Malheureusement, ma consommation de tabac avait sensiblement augmenté. Pour y remédier, on me conseilla un autre professeur qui exerçait derrière la même porte.
- Ah, je vous attendais ! me lança-t-il, tout souriant. Je fus étonné mais soulagé de ne pas avoir à tout lui expliquer. Je me dis que j'étais entre de bonnes mains pour ne plus avoir les doigts jaunes, la langue épaisse et une haleine de cheval. Pendant qu'il me parlait de sa méthode thérapeutique, je voyais des ailes se déployer dans son dos. Rapidement, je mis ses conseils à exécution et, après quelques jours, je perdis un ami : mon buraliste.
Le rêve aurait pu s'arrêter là et conserver un aspect anodin mais l'histoire continua car au régime avec crudités et sans tabac, je devins irascible et coléreux, refusant de mettre de l'eau dans mon vin, passant mon temps dans le rouge...de colère, je précise ! Alors, par un stratagème dont toi seule peut en avoir l'idée, tu réussis à me conduire à cette même maison, à m'accueillir derrière cette même porte et à me confier à un énergumène qui débordait de ses vêtements et qui s'avachit dans son fauteuil comme un calamar se blottit dans un creux de rocher. Un peu mou mais gentil ; affable même. Quand il s'animait, quand la conversation l'intéressait, il paraissait presque séduisant. Jamais un mot plus haut que l'autre, un sourire complice, poli et même attentionné. Bref, un vrai antidote pour le mal qui me rongeait les nerfs et les sens. Il accompagna son discours de massages énergiques et énergétiques. Je quittais les lieux paisible, serein et même joyeux.
Et c'est là où l'affaire se corse ... C'est là où je devrais me taire pour que notre petit-déjeuner se passe normalement .... Mais à vaincre sans péril, on triomphe sans gloire !
On dit que l'argent va à l'argent et que le bonheur va aux heureux ! Avec ma mine épanouie, mon pouvoir de séduction devint étonnant ; les femmes me comprenaient et je les devinais ! Un état de grâce ne peut être refusé, ni contrarié surtout quand on a l'impression de le partager. Et un amour partagé est encore plus grand ...! De partage en partage, l'amour est devenu ma seule occupation, ma seule ligne de vie, ma seule nourriture... Pendant le jour, je rayonnais ; pendant les nuits, je réchauffais, je consolais, je vibrais ! .... Jusqu'au moment où tu m'as secoué et m'as demandé de me calmer. Devant ton regard interrogateur, toutes se sont évaporées et ton soupir réprobateur les a emportées. Je ne me souviens plus de leur visage sauf d'un : le tien. C'est encore la preuve que tu es unique, indomptable, irremplaçable, même dans mes rêves !
- Igor, dans ce rêve, tu as beaucoup appris de ta dernière consultation. J'espère que ce ne sera pas éphémère. Mais tu sais maintenant que l'excès en tout est un défaut, hum ?
- Oui, je sais ; sauf celui de trop t'aimer hein ?